"DéSMICARDISER LA FRANCE": LA GOUVERNEMENT FAIT-IL FAUSSE ROUTE EN PARIANT SUR LES BAISSES DE CHARGES?

Comment faire en sorte que le travail mieux? Gabriel Attal a donné quelques pistes ce jeudi soir sur BFMTV et elles consistent à revoir l'ingénierie complexe des allègements de charges pour inciter les entreprises à augmenter les salaires.

Il est vrai que depuis deux ans, la "smicardisation" du salariat mine la société française dans son ensemble. Jamais autant de salariés en France n’ont été payés au Smic. On est passé de 12 à plus de 17% de salariés au salaire minimum entre 2021 et 2023, soit un million de personnes en plus.

L’explication est principalement mécanique. Le Smic est indexé sur les prix donc quand ceux-ci augmentent vite, le salaire minimum augmente au même rythme. Ce qui n'est pas le cas des autres salaires, notamment ceux légèrement au-dessus du Smic, qui sont donc rattrapés. Mais avec le ralentissement des prix, ce phénomène devrait s'atténuer.

Mais le Premier ministre ne veut pas se contenter de cette évolution mécanique et veut inciter les employeurs à augmenter les salaires. Des propositions concrètes devraient être faites d'ici l'été une fois que les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer qui travaillent sur le sujet depuis novembre auront remis leur rapport.

Des allègements de charges nombreuses

A entendre Gabriel Attal, c'est sur les allègements de charges que compte jouer le gouvernement pour sortir des "trappes à bas salaires".

Il y a d’ailleurs ce chiffre qui circule et plusieurs fois repris par des membres du gouvernement: une hausse de 100 euros coûterait en réalité 482 euros à l’employeur. Ce qui un peu fallacieux. Il suffit d’aller faire un tour sur le site de l’Urssaf pour voir que les charges pour l’employeur augmentent en réalité de 230 euros quand on augmente le salaire minimum de 100 euros net. Pour arriver au chiffre de 482 euros on prend en compte la hausse de salaire net + la CSG + la baisse de prime d’activité pour le salarié et la hausse de l’impôt sur le revenu aussi pour le salarié.

Le coût du travail est élevé en France mais il existe un grand nombre d’exonérations et d'allègements sur les bas et même sur les hauts salaires. Certaines exonérations concernent des tranches qui vont de 2,5 à 3,5 fois le Smic.

Au total, ces allègements et exonérations représentent 74 milliards d'euros par an.

Il peut y avoir des effets de seuil qui découragent les augmentations de salaires mais un changement dans la tuyauterie complexe des allègements de charges ne devrait pas fondamentalement régler la question des hausses de salaires.

La répartition favorable aux salariés en France

Faut-il alors contraindre les entreprises à davantage partager la valeur au profit des salariés? Plusieurs mesures ont déjà été prises en ce sens depuis le premier quinquennat Macron dont la dernière loi date de novembre dernier.

Là encore cette voie ne parait pas porteuse de changements profonds. Pour une raison simple: la France est déjà le pays en Europe où la répartition de la richesse est la plus favorable aux salariés.

Selon les données d'Eurostat, la part des salaires bruts et cotisations représente en France 82,6% de la valeur ajoutée nette. En d'autres termes sur 100 euros de richesses créées, près de 83 euros partent dans les salaires. La France est deuxième en Europe juste après la Slovénie. C’est par exemple moins de 77% en Belgique et en Allemagne, 74% aux Pays-Bas, 73% en Italie, ou encore 70% au Danemark.

Les véritables causes de la stagnation des salaires seraient à chercher selon des nombreux économistes du côté de la productivité en berne.

Ainsi entre 2013 et 2023, la productivité par heure travaillée a progressé de 0,58% en France, selon les calculs de la direction des études économiques à l'IESEG, alors que les salaires bruts réels (déflaté de l'indice des prix de l'Insee) ont eux progressé de 3,86%. Autrement dit, sur la dernière décennie, les salaires réels ont progressé 6,5 fois plus rapidement que la productivité du travail.

"À long terme il est difficile pour la croissance des salaires réels d’excéder l’augmentation de la productivité, car cela réduirait la rentabilité des entreprises jusqu’à leur causer des pertes, explique Eric Dor de l'IESEG. Donc la baisse de la productivité, sauf retournement à la hausse, va exiger de la modération salariale."

Mieux former les salariés, investir dans des équipements plus productifs, simplifier les démarches pour les entreprises, encourager l'intégration technologique... Autant de pistes qui permettraient plus sûrement d'augmenter les salaires sur le long terme. Probablement plus qu'une nouvelle modulation de baisses de charges.

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