L’éLECTION D’UN SALARIé-ADMINISTRATEUR D’ORANGE ANNULéE PAR LA JUSTICE APRèS UN SCRUTIN AYANT VIRé AU PUGILAT ENTRE SYNDICATS

De mémoire d’avocat, la décision est rarissime dans le monde du CAC 40. Dans un jugement rendu vendredi 4 mai, le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) a annulé l’élection, début février 2024, d’un salarié d’Orange appelé à représenter les quelque 120 000 employés-actionnaires de l’entreprise au conseil d’administration. En cause, une campagne électorale ayant viré au pugilat entre organisations syndicales. Où les invectives et les accusations ont fusé entre la CFE-CGC et la CFDT – cette deuxième organisation ayant fini par saisir la justice. Où le président de la CFE-CGC d’Orange a notamment accusé, dans un courrier électronique, une candidate CFDT d’être « sans foi ni loi », de « n’avoir jamais travaillé de sa vie », et d’avoir pour « seul but […] de mettre la main à titre personnel sur les 100 000 euros de jetons de présence annuels ».

Chez Orange, les salariés-actionnaires ont un poids certain sur la marche de l’entreprise : ils en possèdent quelque 8 % et 12,78 % des droits de vote lors des assemblées générales. Aussi, en plus des trois administrateurs-salariés présents au conseil d’administration de l’entreprise au titre du dialogue social, siège également un administrateur représentant les salariés-actionnaires. Le choix de celui-ci est avalisé par un vote de l’assemblée générale sur un nom, qui est choisi lors d’un vote en deux tours des salariés-actionnaires, où le taux de participation a atteint 25 %. Et c’est lors de ce dernier scrutin que tout a dérapé, jusqu’à se transformer en pugilat entre la CFE-CGC et la CFDT (arrivés respectivement premier et deuxième syndicats de l’entreprise lors des dernières élections professionnelles).

« Une volonté de polémique inutile »

A l’issue du premier tour, la candidate CFDT est arrivée en tête. Mais lors du second tour, quinze jours plus tard, celui de la CFE-CGC a obtenu 55,07 % des voix, sa concurrente 44,93 %. Entre-temps, le président de la CFE-CGC d’Orange depuis presque vingt ans, Sébastien Crozier, a multiplié les attaques contre la candidate cédétiste. Notamment avec des courriels envoyés par cette figure de l’entreprise, un temps candidat à la présidence du conseil d’administration. Et qui ont notamment engendré en retour une saisine par la CFDT du tribunal de commerce de Nanterre. Lequel a annulé le scrutin dans sa décision du 4 mai : « Il est clair à cet égard que les courriels des 29 et 30 janvier 2024, juste avant le second tour du scrutin, du président du syndicat CFE-CGE Orange ont participé à ce climat avec une volonté polémique et de provocation où des dirigeants syndicaux s’accusent de n’avoir jamais travaillé de leur vie, d’avoir l’esprit de lucre, d’avoir près de 70 ans ou d’avoir été des “soutiens” de M. Lombard, ancien président directeur-général… ; car, même si les faits relatés devaient être exacts ou voisins de la vérité, ils s’inscrivent dans une volonté de polémique inutile à l’occasion d’une préconsultation destinée à désigner un candidat à la candidature pour un mandat d’administrateur représentant les salariés-actionnaires. »

Contacté, le délégué central CFDT, Olivier Berducou, salue le jugement et dénonce « une campagne calomnieuse, avec des propos odieux, bas, et faux. Bien sûr que les jetons de présence sont versés à l’organisation syndicale, pas sur le compte du salarié. Cela a créé un climat inacceptable, des militants ont été invectivés sur la base de ces courriels ». Et de dénoncer une « vraie difficulté à dialoguer avec la CFE-CGC Orange, du fait de l’ambition personnelle de son président, alors que cette organisation compte des militants d’une grande valeur… »

Contacté, Sébastien Crozier, de la CFE-CGC, dénonce de son côté un jugement « surréaliste » et dit avoir déjà fait appel de cette décision du tribunal de commerce : « Notre organisation, la première dans l’entreprise, est prise pour cible car nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Car le climat est extrêmement tendu en interne. Car on critique la stratégie de Christel Heydemann [la directrice générale, NDLR] et Jacques Aschenbroich [le président du conseil]. » Et d’expliquer :

« Cela fait vingt ans que les relations avec la CFDT sont exécrables. J’ai d’ailleurs toujours le chèque de 800 euros que la CFDT avait dû me verser il y a dix ans, après qu’ils ont été condamnés pour diffamation contre moi. »

Pour justifier sa décision d’annuler l’élection, le tribunal de commerce pointe aussi l’envoi de 500 000 courriers électroniques aux salariés par la CFE-CGC, contre 270 000 par la CFDT. De quoi provoquer, selon le tribunal de commerce, « une rupture du principe de l’égalité des armes par utilisation massive par une organisation syndicale de moyens extraordinaires en faveur d’un candidat ». « Cela a déformé le scrutin », selon Olivier Berducou, de la CFDT. Sébastien Crozier explique, lui, que cela n’a représenté « qu’un mail par semaine pendant deux mois et demi de campagne ». Et de dénoncer l’étude commandée par la direction de l’entreprise au cabinet EY pour arriver à ce chiffrage d’envoi de mails : « On a saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (la Cnil). L’entreprise s’est livrée à une analyse des millions de mails des salariés, pour les trier et les analyser. C’est “Big Brother”… »

Réuni en urgence mardi matin, le conseil d’administration d’Orange a décidé de retirer de l’ordre du jour de l’assemblée générale du 22 mai la résolution qui aurait avalisé le vote des salariés-actionnaires et cette nomination au conseil d’administration.

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