POURQUOI LES EUROPéENS ONT TANT DE MAL à S'UNIR POUR CRéER UNE INDUSTRIE DE GUERRE?

Dans un monde qu'ils jugent de plus en plus dangereux, les Européens martèlent sur tous les tons leur volonté de renforcer leur industrie de défense et leur sécurité. Mais peinent à dégager les fonds pour traduire cette volonté en actes. Après des décennies de coupes dans les budgets de défense, l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 a constitué un choc. Depuis, les dirigeants des 27 multiplient les appels à un changement profond d'approche, à l'image du président français Emmanuel Macron qui évoquait dès 2022 la nécessité de mettre en place une "économie de guerre".

"Il est temps que l'Europe se réveille sur le plan de la défense et de la sécurité", a insisté cette semaine la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. "La menace de la guerre n'est peut-être pas imminente mais elle n'est pas impossible", a-t-elle encore averti. La Commission a proposé en mars une nouvelle stratégie en matière de défense, dotée d'un milliard et demi d'euros, pour aider les industriels du secteur à mieux travailler ensemble et à produire européen.

"Aucun Etat membre, même le plus investi en matière de défense, ne peut se permettre seul les investissements nécessaires", souligne François Arbault, l'un des artisans de cette nouvelle stratégie au sein de l'institution européenne. Mais nombre d'entre eux rechignent encore à travailler ensemble.

"Trop de réflexes nationaux"

"Il y a encore trop d'égoïsme et de réflexes nationaux en Europe", a résumé Frank Haun, le patron de KNDS, une société allemande d'armement, au cours d'une conférence sur la défense et la sécurité européenne organisée cette semaine à Bruxelles.

Pour Federico Santopinto, expert des questions de sécurité auprès de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), les Etats membres "restent très réticents à voir la Commission européenne prendre davantage de pouvoir en matière de défense". L'aide européenne à l'Ukraine illustre bien la frilosité de beaucoup de pays européens. Dès 2022, Bruxelles a mis de l'argent sur la table pour inciter les 27 à passer ensemble des contrats d'achats d'armes et de munitions en faveur de l'Ukraine.

L'Agence européenne de défense (EDA) a mis en place une soixantaine de contrats cadre pour développer la fabrication d'obus de 155 mm, indispensables à l'artillerie ukrainienne. Mais, seuls neuf pays européens ont jusqu'à présent passé commande, pour un volume de quelque 350 millions d'euros, soit "à peine quelques jours" de stocks" pour l'armée ukrainienne, a déploré cette semaine dans la capitale de l'UE le secrétaire général de l'EDA André Denk.

"Passer des contrats en commun, c'est aussi mettre ses standards ou sa doctrine militaire en commun", ce que les armées rechignent parfois à faire, explique Eric Béranger, le patron de MBDA, le fabricant français de missiles. "Chaque pays veut son propre système de défense. On le voit avec le char allemand Leopard que chaque armée équipe différemment", au détriment de l'intéropérabilité, a expliqué Frank Haun.

"100 milliards d'euros"

Et les besoins financiers sont énormes : au moins "100 milliards d'euros", martèle le commissaire européen chargé des industries de défense Thierry Breton. De quoi effrayer la plupart des Etats membres au moment où il faut aussi financer, entre autres, la transition énergétique.

Faute d'accord en vue d'un nouvel emprunt européen, à l'image de ce qui avait été fait pour financer le choc économique généré par l'épidémie de Covid, les pays européens cherchent d'autres solutions. La Banque européenne d'investissement (BEI) est l'une d'entre elles. Elle va désormais pouvoir financer des projets à double usage, civil et militaire. Mais son enveloppe est limitée à six milliards d'euros jusqu'en 2027.

Reste le secteur privé. Là aussi les obstacles sont nombreux. Les investisseurs ont besoin de "faire des bénéfices", a rappelé cette semaine Helmut von Glasenapp, le secrétaire général de l'Association européenne des investisseurs à long terme (ELTI). Et "personne n'est vraiment prêt à financer une usine de munitions (...) sans de sérieuses garanties". En attendant, la Russie fabrique trois fois plus d'obus que les alliés occidentaux de l'Ukraine, a rappelé mercredi à Bruxelles James Appathurai, le secrétaire général adjoint à l'Otan. "Je pense qu'on parle trop. Il faut vraiment agir maintenant", résume André Denk.

2024-04-19T04:41:38Z dg43tfdfdgfd