DéGRADATION DES FINANCES PUBLIQUES : L’EXPLOSION DE LA DETTE EST-ELLE VRAIMENT SI GRAVE ?

Avec un déficit public plus élevé qu’attendu, la France fait figure de mauvais élève dans la gestion de ses finances publiques en Europe. Mais la situation est-elle si catastrophique qu’on le dit ?

Au gouvernement, on ne parle plus que de ça… L’état des finances publiques inquiète la majorité présidentielle. D’autant que depuis quelques semaines, l’exécutif a tout faux. Alors que Bercy s’attendait à un déficit public de 4,9% en 2023, l’Insee a annoncé, mardi 26 mars, qu’il atteignait en réalité 5,5% ! Un écart entre les prévisions du ministère des Finances et la réalité du terrain qui représente près de 16 milliards d’euros… Et qui fait tache pour ce ministère réputé pour son sérieux. La Cour des comptes évoquant même, par la voix de son président Pierre Moscovici, un dérapage «important» et «très très rare du déficit».

Soucieux de «refroidir la machine» des dépenses publiques, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a supprimé par décret, dès la fin du mois de février, 10 milliards d’euros de crédits budgétaires de l’Etat. Et son collègue Thomas Cazenave, ministre chargé des Comptes publics, a prévenu que Bercy sera à la recherche de 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires dans le budget 2025. «Nous allons poursuivre sur cette voie de rigueur», a même osé le Premier ministre, Gabriel Attal, à l’Assemblée nationale. Car l’objectif est clair : ramener l’Hexagone sous la barre des 3% de déficit en 2027. Une cible qui paraît hors d’atteinte aujourd’hui.

>> Notre service - Réalisez jusqu’à 300 euros d’économies par an grâce à notre comparateur de tarifs bancaires

Aucun problème de financement

«Déficit», «rigueur», «retour à la normale»… Autant de mots qui inquiètent les Français, comme l’atteste le baromètre politique Viavoice publié récemment dans Libération. Mais la situation des finances publiques est-elle aussi grave que le gouvernement le dit ? Notre pays est-il voué au même destin que la Grèce ? Pays en banqueroute il y a dix ans. «Nous ne sommes pas du tout en faillite, balaie Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France. Il n’y a pas de risque de panique, ni de débat sur la robustesse de la dette française.» Pour preuve, l’Agence France Trésor a annoncé par communiqué, dès septembre dernier, que la France empruntera 285 milliards d’euros en 2024 par «l’émission de titres d’Etat à moyen et long termes». «Nous n’avons aucun problème à nous endetter», constate Anne-Laure Delatte, économiste et chercheuse au CNRS rattachée à l’université Paris-Dauphine.

Il n’empêche, avec une dette publique de 110,6% du PIB (plus de 3 000 milliards d’euros), la France figure parmi les plus mauvais élèves en Europe. «L’Italie sera en excédent primaire (solde budgétaire hors prise en comptes des intérêts de la dette publique, NDLR) dès l’année prochaine, rappelle Anne-Sophie Alsif. De son côté, l’Espagne passera en dessous des 3% de déficit.» Une situation budgétaire compliquée qui tient surtout à la politique menée ces dernières années par l’exécutif, selon Anne-Laure Delatte. «Le gouvernement a mis en place une politique de l’offre via des réductions de prélèvements pour les entreprises, et ce, avec l’objectif de créer de l’activité économique, de l’emploi, et des recettes fiscales supplémentaires, détaille la chercheuse. Mais on se rend compte que ça ne marche pas.» Dans un échange avec la presse, Bruno Le Maire a reconnu que l’Etat avait connu un «trou» de 21 milliards d’euros dans ses recettes fiscales en 2023. De quoi donner du grain à moudre aux contempteurs de la politique économique «pro-business» menée par le locataire de Bercy depuis sept ans.

Réduire les dépenses, une mauvaise idée ?

Malgré le ralentissement de la croissance économique - l’exécutif table sur une croissance de 1% en 2024 -, le gouvernement a choisi sa ligne : réduire les dépenses publiques. «Quand on gagne moins, on dépense moins», martèle régulièrement le ministre de l’Economie. «Baisser les dépenses en période de ralentissement de l’activité, ça ne va faire que creuser le déficit», prédit Anne-Laure Delatte. Mais pourquoi l’exécutif s’entête-t-il donc dans cette voie ? Au risque de casser la (faible) croissance anticipée. «Il y a une question politique en lien avec les élections européennes qui n’a rien à voir avec l’économie», se risque Anne-Sophie Alsif. Un coup de frein budgétaire vanté par le ministre de l’Economie qui n’est pas sans irriter les oppositions politiques. «Quand l’activité économique va mal, ce n’est pas là qu’il faut appuyer sur le frein ! Je pense qu’il faut accélérer comme le font les Etats-Unis parce que l’on a devant nous le mur de la transition écologique, et le mur de la transition démographique», a défendu la députée socialiste Christine Pires Beaune sur BFM TV.

À lire aussi
Assurance vie, actions, livrets… la fiscalité sur les revenus du capital relevée en 2025 ?

L’exemple américain

Avec 34 000 milliards de dollars de dette publique et un déficit de 6,7% en 2023, les Etats-Unis semblent très loin des discussions budgétaires européennes. Très loin également de la règle des 3% de déficit du PIB que tentent de suivre les Etats du Vieux continent… D’autant que le pays de l’Oncle Sam prouve qu’avoir une dette élevée ne freine en rien la croissance… qui a atteint 2,5% en 2023 ! Une progression de l’activité économique bien supérieure à celle de la zone euro (+0,9% en 2023). «Les Etats-Unis s’endettent en dollars, la monnaie internationale, et c’est un énorme avantage par rapport à l’Europe, pointe Anne-Sophie Alsif. Mais ils ont surtout un financement de leur économie via les marchés financiers qui est plus diversifié qu’en Europe.»

L’exemple américain pourrait-il faire réfléchir le gouvernement dans la conduite de sa politique budgétaire ? «Si on ne peut faire fi du cadre européen, on doit pouvoir instaurer un rapport de force sur notre politique budgétaire, plaide Anne-Laure Delatte. Car nous nous apprêtons à vivre une décennie compliquée avec la crise climatique. Cela va nécessiter de renforcer nos dépenses publiques sous peine de créer une société très inégalitaire

2024-03-27T19:13:26Z dg43tfdfdgfd